Berger, un "métier passion"

Plongé dans le monde de l’élevage dès sa naissance (son père Pascal est éleveur de moutons et de poulets bio à Cheverny), Gilles Cazin a 20 ans. Après son Bac S en lycée agricole obtenu en 2017, il a suivi des études de Génie biologique option agronomie à l’IUT (1) d’Angers. Titulaire également d’un BAFA (2), il est aussi occasionnellement animateur de colonies de vacances.

La Grenouille a rencontré Gilles, dont le projet professionnel nous a intéressés à plus d’un titre.

Berger, un métier passionGilles Cazin : « Cette année, je suis en formation de BPA (Brevet professionnel agricole) de berger transhumant, au domaine et centre de formation du Merle à Salon-de- Provence. Je suis actuellement en stage en entreprise, puis serai ensuite salarié… ». Cette formation de 12 mois comprend une période en centre de 950 heures et une période en entreprise de 760 heures avec 3 phases : l’agnelage d’automne, la garde en colline et milieux difficiles, et la garde en montagne (la transhumance).

La Grenouille : D’où est venu ce projet ?
G. C. : « Par le contexte familial, j’ai toujours eu la passion du mouton (3). À la fin de mon DUT (4), j’avais envie de sortir du cursus universitaire pour rentrer rapidement dans la vie active tout en restant dans ce qui me passionne (les moutons, la nature, le travail en plein air, et aussi la liberté dans le métier). Je me suis donc intéressé au métier de berger, que j’avais envie de découvrir (surtout le berger qui garde en montagne l’été). Je me suis également rendu compte que ce métier collait vraiment avec mes souhaits pour les années à venir. C’est aussi une activité qui peut fonctionner par périodes dans l’année, ce qui laisse des opportunités pour voyager : intéressant quand on est jeune… ».

L. G. : Pouvez-vous nous en dire plus sur « la passion du mouton » ?
G. C. : « Dans le sud on dit souvent que certains ont la passion et que d’autres ne l’ont pas… Elle est difficile à expliquer, mais pour moi, c’est l’attirance que l’on a pour ce métier et ces animaux : c’est quand je suis entouré de brebis que je me sens le mieux et que tout me paraît plus simple. Plus globalement, le métier de berger, c’est un ensemble : la nature, les brebis, les chiens et le berger fonctionnent harmonieusement, et quand on arrive à trouver sa place dans cet ensemble, c’est le bonheur ! ».

L. G. : Quels sont vos objectifs profes­sionnels ?
G. C. : « Être berger (principalement dans le sud) pendant plusieurs années, puis reprendre la ferme familiale de Cheverny ».

L. G. : Pourquoi le Sud ?
G. C. : « Parce que cette région me plaît beaucoup et que l’élevage ovin y est très présent, notamment dans la plaine de la Crau, les Alpes et tous les petits massifs montagneux comme par exemple les Alpilles ou le Luberon. Et puis le climat y est plutôt agréable ! ».

L. G. : En quoi consiste le métier de berger ?
Berger, un métier passionG. C. : « C’est un métier que l’on peut exercer toute l’année. Dans le sud ce sont principa­lement des gros troupeaux (entre 500 et plu­sieurs milliers de bêtes) ; les brebis agnellent à l’automne sur une période d’un ou deux mois : ce sont donc des périodes très intenses avec du travail en bergerie principalement ; vient ensuite l’hiver, où les troupeaux sont gardés dans les prés, c’est la période la plus creuse ; au printemps, les bêtes sont gardées en plaine ou en colline jusqu’à début juin où l’on part en montagne pour l’estive, jusqu’en octobre ; le travail consiste alors à garder des troupeaux de 700 à 2500 brebis (5). On vit en cabane, seul la plupart du temps ; je n’ai pas encore vécu cette période mais je pourrai vous en dire plus en octobre… » (6).

L. G. : Et le métier de berger en Sologne ?
G. C. : « Berger est l’un des plus vieux métiers du monde, et qui s’exerce partout sur la Terre. Autrefois, il y avait aussi des bergers en Sologne car on n’a pas toujours eu des clôtures pour parquer les brebis ».

LG : Vous avez remporté en décembre dernier les « ovinpiades » de la région Paca, avec le titre de « meilleur jeune berger », vous permettant de participer également au titre national dont les épreuves se sont déroulées au Salon de l’Agriculture : en quoi consiste ce concours ?
Berger, un métier passion
Gilles Cazin assoit une brebis
G. C. : « C’est un concours auquel j’ai eu l’opportunité de participer dans le cadre de ma formation. À l’origine, il était destiné à redynamiser la filière ovine et donner envie aux jeunes de s’installer en élevage ovin. Le concours est bon enfant, les épreuves consistent à parer (tailler les onglons (7) des brebis), trier des brebis, évaluer leur état de santé, les manipuler et les asseoir, savoir choisir un bélier reproducteur, le tout complété par des épreuves théoriques concernant les races et la filière. Ce fut pour moi une super expérience et cela prouve qu’il y a encore du monde et notamment des jeunes comme moi qui s’intéressent au mouton : c’est très encourageant ».

L. G. : « Asseoir une brebis », vous pouvez nous expliquer ?
G. C. : « Lorsqu’on manipule une brebis, il faut généralement l’asseoir (la mettre sur ses gigots) : elle ne bouge quasiment plus et cela permet de lui faire des soins plus aisément ; pour arriver à asseoir une brebis facilement et rapidement, cela demande un certain entraînement… ».

L. G. : Parlez-nous du chien de berger…
Berger, un métier passion
Le troupeau en pleine nature dans la plaine de la Crau
avec un patou, chien de protection
G. C. : « Différentes races sont utilisées : la plus connue est le Border collie, mais il y a aussi le Berger de Crau, le Berger des Pyrénées, le Beauceron, le Berger belge, le Berger picard… Ce qu’on attend de lui dépend du berger : pour moi, c’est avant tout l’obéissance, l’instinct au troupeau, le calme, la rapidité, la précision, un peu d’autonomie, qu’il ne morde pas mais se fasse respecter. D’autres bergers vont préférer des chiens très autonomes, à qui on donne peu d’ordres, ou des chiens très « speed »… C’est en fonction de ces aptitudes qu’on choisit la race. On peut très facilement garder avec un seul chien mais, pour ne pas trop le fatiguer (8), on peut en utiliser deux, voire trois, et dans ce cas-là il faut mettre sur les ordres des mots différents pour chaque chien. Dans ma formation, nous avons suivi des cours de dressage et notre formateur avait un chien dressé avec des mots en anglais, en espagnol, mais aussi en employant des couleurs, des noms d’oiseaux ou de fruits… : tout est possible quand on maîtrise... ».

LG : Quels sont les rapports entre le chien et le berger ?
G. C. : « Une certaine complicité doit s’ins­taller entre eux, afin que le chien ait envie de travailler pour le berger. On peut bien sûr être amis, mais le chien doit savoir qu’on le domine et qu’on est le chef. On fait souvent le rapport avec une meute de loups et donc le berger est le mâle dominant de la meute et le chien un dominé. C’est très important pour que le chien ne fasse pas ce qu’il souhaite, et que ce soit le berger qui commande. On est bien sûr très attaché au chien, car sans lui on ne peut pas faire grand-chose (ou alors il faut être un bon coureur !...) ; et puis on passe nos journées avec lui, et c’est souvent avec le chien que l’on discute le plus... ».

L. G. : Quel est son rôle ? Comment est-il formé ?
G. C. : « Pour le chien, il s’agit de diriger le troupeau globalement : pour cela, on envoie le chien dans différentes directions afin de donner le biais au troupeau. Le chien sert aussi à empêcher les brebis d’aller dans certains endroits, comme par exemple un champ qui n’est pas à nous quand on garde. Pour former un chien c’est très long, et c’est un petit peu de travail tous les jours : on commence quand il a environ 4 mois. Au début, on l’éduque à obéir aux ordres de base (le rappel, assis, stop, marche au pied...), mais sans la présence des brebis. Puis on le fait travailler petit à petit avec des moutons, au début sur des petits lots de 5 à 10 bêtes, et on progresse ainsi… Un chien est réellement dressé vers un an et demi environ. En montagne, on utilise aussi des chiens de protection (plus connus sous le nom de « patou ») : leur rôle est de protéger le troupeau face au loup principalement ; ce sont des chiens autonomes à qui l’on donne très peu d’ordres et qui ont l’instinct d’affronter ou d’éloigner les dangers qui se présentent pour leur troupeau ».

L. G. : Un message à faire passer ?
G. C. : « C’est un métier où il y a beaucoup de travail disponible ; il faut bien sûr être passionné car les conditions sont parfois rudes, mais qu’est-ce qu’on est bien seul au milieu de la nature avec ses brebis et ses chiens !… L’intérêt essentiel pour moi, c’est qu’on a une liberté qu’on ne retrouve pas dans beaucoup d’autres métiers… ».

L. G. : Une anecdote ?
G. C. : « La sieste fait partie du métier de berger… mais il m’est déjà arrivé de m’apercevoir qu’au réveil, mes brebis étaient parties… ».

Propos recueillis par P. L.

Nota : de nombreux sites internet pourront vous donner des compléments d’informations sur ce beau métier, et en particulier :
• L’association ASPIR, avec notamment des vidéos qui illustrent très bien les savoir-faire à maîtriser :
http://aspir.eu/
• Les partenaires de la production ovine en France : http://www.inn-ovin.fr/
À lire également :
« Brebis solognotes Chemin des Béliers » paru dans La Grenouille n° 26 de janvier 2015 ou sur :
(1) IUT : Institut universitaire de technologie.
(2) BAFA : Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur.
(3) Le terme générique « mouton », Ovis aries, désigne un animal domestique, mammifère herbivore ruminant appartenant au genre Ovis (ovins) de la sous-famille des Caprinés, dans la grande famille des Bovidés. Comme tous les ruminants, les moutons sont des ongulés mar­chant sur deux doigts (Cetartiodactyla) (Wikipédia).
(4) DUT : Diplôme universitaire de technologie
(5) Le bélier et le mouton sont des mâles de plus de 12 mois, le premier entier, le second, castré. Pour les femelles, l’agnelle est une femelle de moins d’un an, alors que la brebis est une femelle ayant agnelé. Le terme « agneau » recouvre tout ovin mâle ou femelle (ou « agnelle ») de moins d’un an. (CIWF - Compassion in World Farming).
(6) La préface du « Manuel des Bergers d’alpages », édité par l’association ASPIR, nous donne également une belle définition (extrait) : « Berger est un métier du vivant qui s’exerce dans un milieu vivant. […] Une bonne part de l’art des bergers d’alpage est d’anticiper l’imprévisible et de s’adapter à un contexte mouvant. Le savoir-faire des bergers est une intelligence du vivant. Il combine des savoir-faire ancestraux enrichis de techniques et de connaissances contemporaines avec l’amour, le soin et le respect des animaux et de l’alpage. Les bergers d’alpage doivent, bien entendu, maîtriser les subtilités de la garde du troupeau qui est le coeur de leur métier. Ils doivent aussi savoir l’exercer dans un milieu fragile et inhospitalier, celui des pâturages d’altitude. Il leur faut également faire preuve de prudence face aux risques de la montagne, d’humilité face aux éléments, de respect d’eux-mêmes et des autres. Autant de qualités qu’ils acquièrent le plus souvent par l’expérience ».
(7) Onglon : Étui corné protecteur et amortisseur, situé à l’extrémité des membres des ruminants (Larousse).
(8) On estime que dans certaines régions, un chien de berger peut parcourir journellement une distance de l’ordre de 60 à 80 km.

La Grenouille n°47 - Juin 2020

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de nous donner votre avis sur cet article, de nous transmettre un complément d'information ou de nous suggérer une correction à y apporter