Histoire de maison

Histoire de maison - Cheverny
Un bel exemple de réhabilitation du patrimoine bâti En traversant le village de Cheverny, des échafaudages nous indiquent un chantier de restauration d’une imposante bâtisse, à l’angle de l’avenue du Château et de la rue de l’Argonne (anciennement rue des Juifs)…

Histoire de maison - Cheverny
Cette maison figure sur de nombreuses cartes postales anciennes, avec la configuration tout à fait particulière de sa façade, encore visible de nos jours : on perçoit en effet la présence de quatre entrées de logements, avec les anciens numéros de couleur rouge orangé au-dessus des portes, là où logeaient sans doute autrefois des employés du château ou des ouvriers de l’agriculture locale. Les registres du cadastre permettent d’établir que la maison a appartenu à la famille Hurault de Vibraye avant 1854 et a sans doute été transformée (ou reconstruite) en 1856 par le propriétaire de l’époque Adrien Lamotte-Boy (avec 30 ouvertures répertoriées !..., ce qui correspond à peu près au nombre actuel d’ouvertures). Les noms des propriétaires successifs figurant dans les registres du cadastre ne se retrouvent pas dans les recensements des années 1850/1906 dans le bourg de Cheverny, ce qui semble prouver que la maison était occupée dans ces années-là par des locataires, comme évoqué ci-dessus. Et la disposition des pièces à l’époque semble montrer qu’il s’agissait d’appartements, de chambres ou de « chambrées » (chambre ou logent plusieurs personnes).
La maison a ensuite été acquise par le couple Boucher-Lachaud au début des années 1930, et le couple Henri Cheze-Boucher en aurait hérité une dizaine d’années plus tard. La famille l’a revendue en 1987 à une SCI dont la gérante, Madeleine Saussier a habité une partie de la maison (à l’angle des deux rues) pendant de nombreuses années avec son compagnon Jean Chartrain. La SCI y avait créé deux studios et trois appartements, dont l’un d’entre eux était occupé par José, la soeur de Madeleine, qui garde de bons souvenirs de ce lieu et habite maintenant à 150 mètres de là. 

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Histoire de maison - Cheverny
Arthur Grandgérard, 34 ans, propriétaire des lieux, nous a permis d’en savoir un peu plus sur cette demeure et sur le projet.
A. G. : « Je suis un passionné de vieilles pierres, et très motivé pour faire revivre ou survivre notre patrimoine ancien. Et je suis très attaché à la Sologne, patrie de mes ancêtres et où j’ai passé toute mon enfance ». Arthur a en effet des racines solognotes puisqu’il est l’arrière-petit-fils de Paul Besnard, que le Petit Solognot (1) nous présente ainsi : « …/… un artiste aux multiples talents (poète, peintre, dessinateur, sculpteur et musicien…). Né en 1849 et décédé en 1930 à Orléans, magistrat et fils de magistrat, il passa la plus grande partie de sa jeunesse à Courbanton, en pleine Sologne. Il vécut ensuite quelques années à Romorantin puis à Mur, dont il sera le maire. C’est au château de la Morinière qu’il laissera libre cours à son âme d’artiste. Vêtu d’une biaude (2), il aimait raconter une scène en plein air dans le parc de la Morinière. Dans ses oeuvres, il a toujours voulu présenter le Solognot moyen, robuste, prudent mais futé, défendant avec ardeur ses intérêts, surtout face aux propriétaires châtelains, aux bourgeois - bien que bourgeois lui-même -, aux curés… en ayant parfois recours à la ruse. Il reflétait parfaitement le véritable autochtone sympathique et anticonformiste ». 
Une exposition lui était consacrée récemment au Musée de Sologne de Romorantin.

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Changement de carrière
A. G. : « « Après avoir oeuvré pendant une dizaine d’années à Paris dans le domaine des nouvelles technologies, j’ai pu me lancer en 2022 dans une nouvelle activité professionnelle rejoignant mes passions, en me consacrant à la restauration de bâtiments anciens dans le pays de mon enfance, en permettant à ce patrimoine bâti d’entamer, comme moi, une nouvelle vie… J’ai actuellement d’autres projets en cours, dont deux à Cour-Cheverny ».

À terme, le bâtiment, d’une surface de 450 m2, comportera 11 logements de 25 à 45 m2, de deux à quatre pièces
Cinq d’entre eux, situés au rez-de-chaussée auront un accès sur l’avenue du Château, dont plusieurs accessibles aux personnes à mobilité réduite. Une coursive, installée sur la façade arrière, permettra l’accès aux six autres logements situés au 1er étage.

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Une affaire complexe, mais très intéressante
Sur ce projet de restauration, les travaux sont assez colossaux, puisqu’ils concernent l’ensemble des composantes de l’édifice : les murs (avec des ouvertures créées sur l’arrière du bâtiment), la charpente dont tout le chevronnage a été remplacé, la toiture entièrement rénovée (3), les planchers, les façades et bien sûr tout le second oeuvre. À noter que le bâtiment restauré comporte six belles lucarnes créées côté rue (il n’y en avait aucune auparavant sur ce côté) et qu’une belle gerbière (4) a été restaurée sur la façade arrière. Il comportait également cinq cheminées, dont certaines pouvaient présenter un risque de chute : deux sont conservées et restaurées, pour garder à la toiture une belle esthétique. Le grenier, qui représente un important volume, sera lui aussi aménagé en deux logements.
A. G. : « L’autre dimension du projet, c’est son environnement. La proximité du château de Cheverny impose de réhabiliter ce bâtiment sous l’égide de l’architecte des bâtiments de France (ABF), et a bien sûr nécessité une concertation étroite avec les autorités compétentes dont, entre autres, la mairie de Cheverny, mais aussi Agglopolys concernant les réseaux et bien d’autres entités. Le maître d’oeuvre a mis au point le projet et gère l’ensemble des travaux. Sur mes premiers chantiers, et comme j’aime la construction, j’avais cru pouvoir me passer de maître d’oeuvre, mais c’était une erreur, car comme on dit, "c’est un métier", et sur ce projet, mon rôle se limite à celui de maître d’ouvrage, qui m’occupe largement, et je m’appuie sur les compétences de chacun des acteurs (maître d’oeuvre, entreprises, etc.) pour le mener à bien, en essayant de faire le moins possible d’erreurs… ».

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Cet environnement impose de nombreuses contraintes
La restauration est bien sûr soumise aux normes et règlements techniques en vigueur, mais aussi aux exigences très strictes de l’ABF concernant notamment l’esthétique, et donc dans le choix des matériaux pour les toitures, les huisseries, les enduits de façade, etc. Les entreprises intervenantes doivent également recevoir un agrément. Mais ce type de projet est aussi soumis à toutes sortes de contraintes et avis, comme par exemple un « diagnosctic avifaunistique et chiroptérologique » relatif à la présence éventuelle de chiroptères (chauves-souris) ou d’oiseaux sur le bâtiment.
Comme le dit Arthur avec humour : « Tout ceci, c’est sympa, mais qui paie ? : c’est moi !... Et cela renchérit le coût de la construction et de l’immobilier en général dans ce type d’environnement ».
Notons également que la situation du bâtiment, à l’angle de deux rues très circulées et assez étroites, impose des règles de sécurité particulières.

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Encore du travail
Les entreprises assurent un travail de qualité sur ce projet, qui satisfait pleinement le maître d’ouvrage et lui garantit d’atteindre son objectif de pérenniser le patrimoine local et de participer au peuplement du coeur de village. Le bâtiment devrait être livré courant juillet 2025.

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Histoire de maison - Cheverny
Chaque maison a son histoire
Cette maison appartenait autrefois à la famille Chèze comme déjà précisé, dont nous avons rencontré deux descendants, Axel et Jacques Fontaine. Ils nous ont évoqué ce lieu qu’ils ont bien connu dans leur enfance dans les années 50 et dont ils gardent de bons et beaux souvenirs…
Axel Fontaine : « Mon grand-père maternel, Henri, directeur de banque à Paris, avait pris sa retraite dans cette maison, mes parents occupant une autre maison (de la famille Fontaine) située 50 m plus bas dans la même rue. Nous habitions Paris et passions généralement nos vacances à Cheverny ». Les cinq frères et soeurs passaient la plupart de leurs journées chez leurs grands-parents et dormaient dans cette grande maison.
A.F. : « Nous dormions à cinq dans une grande chambre à l’étage. Ma grand-mère était très pieuse et nous faisait réciter la prière à genoux avant le coucher. Nous avions droit ensuite à une madeleine… Le grand-père était imbattable au jeu de dames et faisait chaque année le concours du Figaro qu’il n’a jamais gagné. Geneviève, ma grand-mère, après son veuvage, avait une dame de compagnie qui habitait au bout de la maison. J’ai souvenir d’un grand salon, d’un petit salon où nous n’avions pas le droit d’aller, et d’une cave à deux niveaux avec un puits dans le deuxième niveau. Je suis toujours resté très attaché à cette grande et belle maison ».
Jacques Fontaine : « Beaucoup de souvenirs me reviennent à propos de cette maison et des bons moments que nous y avons passés avec mes frères et ma soeur. Pratiquement deux pièces seulement étaient occupées au rez-de-chaussée avec comme chauffage un poêle Mirus et une cuisinière bois/charbon émaillée blanche de marque Eno Revin et, en hiver, il y avait donc la corvée de charbon le soir. Il fallait sortir dans la cour avec un seau et en profiter pour aller aux toilettes dans une cabane au fond de la cour à côté du poulailler, avec le puits non loin. De grands placards étaient remplis de conserves, de pruneaux, de pâtes, de riz et nous avions inventé une chanson dont le refrain disait : "Grand-mère a mille pots de confiture, 1 400 matelas, 500 couvertures, des morceaux de savon qui vous grattent la peau, qui vous grattent la peau, etc". La guerre était passée par là… Au sens propre du terme, car la grand-mère se rappelait des "bruits de bottes allemandes".

Réquisitionnée par l’armée allemande
En 1940 et 1941, la maison de la famille Chèze avait été réquisitionnée par l’armée allemande, comme l’ont été de nombreuses demeures de nos villages pour loger des soldats. Les « Réquisitions pour logement et cantonnement des troupes d’occupation » ont fait l’objet d’indemnisations aux propriétaires, dont on peut consulter le détail dans les documents conservés aux Archives départementales du Loir-et-Cher, intitulés « État nominatif des habitants de la commune de Cheverny qui ont droit au paiement des prestations ci-dessous visées », certifiés par le maire et validés par le préfet. On retrouve la liste d’une quinzaine de propriétaires indemnisés à Cheverny, et environ 80 à Cour-Cheverny. La maison de la famille Chèze a ainsi hébergé un officier allemand pratiquement en continu de septembre 1940 à octobre1941. Les documents répertorient le nombre d’occupants et de jours d’occupation avec le montant de l’indemnisation correspondante. On constate que dans la plupart des cas, un seul soldat était logé. Pour le logement, on distingue différentes catégories :
• chambres avec confort (officiers) : 5 francs par jour en 1940 - 8 F en 1941,
• chambre avec confort (sous officiers et soldats) : 3 F en 1940 - 6 F en 1941,
• chambre ordinaire (sous officiers et soldats) : 1 F
• lit supplémentaire par chambre : 1 F Pour les cantonnements (5) :
• chevaux en écurie ou box : 0 F 15
• chevaux en écurie commune : 0 F 05 En référence, on peut indiquer qu’en 1940 le salaire moyen d’un ouvrier non qualifié était de 6 francs de l’heure, soit environ 1 200 francs par mois.

Autres souvenirs de gosse
A. F. : « À côté de chez mes grands-parents vivait Yvette Cazin (6), qui venait cueillir les pommes chez nous. C’était une très bonne voisine et nous avions sympathisé avec ses enfants ».
J. F. : « À la radio, on écoutait la famille Duraton (7) sur Radio Luxembourg. Le dimanche matin, mon oncle Jean-Jacques nous emmenait à la messe de 8 heures et venait nous rechercher à la fin, à 8 heures 20. Il possédait une des premières 2CV, immatriculée, je m’en souviens, 52 CJ 41.
Ma soeur Catherine faisait souvent des farces à ma grand-mère : elle lui cachait son béret pendant quelques jours et ma grand-mère allait chaque matin prier à l’église pour le retrouver...
Au fond de la cour, une partie de la maison était louée à Mme Pita qui avait deux fils dont l’un, Albert, avait une moto 175 cc Motoconfort dont je dispose aujourd’hui. Il travaillait en région parisienne, et j’ai encore en mémoire le bruit de cette moto quand il partait le lundi matin et revenait en fin de semaine.
Il y avait aussi du spectacle juste en face, dans la petite maison adossée au monument aux morts. Elle était occupée par Louisette avec son compagnon Besson. Ils taquinaient souvent la bouteille, et les éclats de voix étaient fréquents… La radio était toujours à fond et Louisette chantait très fort. Les touristes se garaient devant chez elle, et elle détestait les Parisiens, sauf s’ils avaient une belle voiture… ». 

Merci à Arthur, Axel et Jacques pour leurs témoignages à propos de cette maison qui entame une nouvelle vie au sein du village. 

P. L.

(1) https://www.lepetitsolognot.fr/paul-besnard-ecrivain-etpoete- solognot/
(2) Biaude : blouse en parler solognot.
(3) Les travaux de charpente et couverture sont réalisés par l’entreprise Foltier-Riglet de Chaon.
(4) Gerbière : Fenêtre de service d’un grenier ou d’un fenil, par laquelle on entre les gerbes ou le fourrage (Le petit Dicobat – Editions Arcature 1994).
(5) Établissement temporaire de troupes dans un lieu habité ; lieu où cantonne une troupe (Larousse).
(6) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov. 2018 : page 168 « La vie quotidienne à Cheverny avant et pendant la dernière guerre » où Yvette Cazin témoigne sur cette époque. (7) La Famille Duraton est un feuilleton radiophonique français créé par Radio-Cité en 1936 (sous son titre initial d’Autour de la table), et auquel participe à l’origine le comédien Noël-Noël. Il se poursuit dès 1948 sur Radio- Luxembourg et sur Radio Monte Carlo, puis sur Radio Andorre jusqu’en 1966 (Wikipédia).

La Grenouille n°67 - Avril 2025

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