Quand les Romains refont surface à Cour-Cheverny
Sur invitation de Bernard Gattolliat, propriétaire de l’hôtel du Relais des Trois Châteaux et du restaurant Les Trois Marchands, La Grenouille est allée à la rencontre des archéologues qui ont investi en avril dernier le secteur du futur chantier de construction de la Résidence « Villa des Lumières », au centre bourg de Cour- Cheverny.
Les archéologues en action
Étonnant spectacle que de voir
ces spécialistes fouillant minutieusement les vestiges mis au jour à l’aide
d’outils tels que la truelle, le piochon, la rasette, la pioche ou la pelle !…
Mélanie, responsable
d’opération, et ses collègues David, Zélie et Samara nous ont aimablement
accueillis et permis de découvrir leur métier, leur savoir-faire, ainsi que
leur capacité à déceler au sol les vestiges laissés par des occupations
antérieures.
Une procédure rigoureuse et
très encadrée
Avant tout aménagement public
ou privé, l’État peut prescrire un diagnostic archéologique pour vérifier si le
terrain recèle des traces d’anciennes occupations humaines susceptibles d’être
détruites par la réalisation du projet. Cette intervention consiste à faire des
sondages sur 5 à 10 % de la surface de terrain concernée par le projet. Les
archéologues remettent alors un rapport de diagnostic aux services de l’État et
sur la base de ces conclusions, si les vestiges détectés relèvent d’une
certaine importance pour la connaissance scientifique, une fouille est
prescrite, comme ce fut le cas sur le site de la future résidence « Villa des
Lumières ».
Les travaux de fouilles sont
alors confiés soit à l’Inrap (1) soit à un autre organisme agréé, public ou privé,
après appel d’offres. À Cour- Cheverny, c’est la société Eveha (2),
dont une antenne est basée à Tours, qui a été chargée de cette intervention.
Un site intéressant
Sans préjuger des éventuelles
découvertes à cet endroit, le site de Cour-Cheverny était a-priori d’un intérêt
certain pour les archéologues, du fait que la « micro-région » que représente
la Sologne a connu assez peu de fouilles, ou en tout cas beaucoup moins que
d’autres.
La loi sur l’archéologie
préventive évoquée précédemment ne date que de l’année 2001 ; il y a donc eu
peu de fouilles de ce type dans les centres bourg de notre région, où peu de
constructions ont été réalisées au cours des deux dernières décennies.
Et de fait, au cours de ces 6
semaines de fouilles, les découvertes mises au jour sur le site permettront
d’enrichir les connaissances archéologiques concernant la commune bien sûr,
mais aussi plus largement la Sologne et le mode de vie de ses (très) anciens
habitants…
Rien n’échappe aux
archéologues
Sur le site, on s’intéresse à
tout, dans les moindres détails.
Une pelle mécanique a d’abord
effectué un décapage général très minutieux, en éliminant les objets « modernes
» trouvés, sous les directives d’un archéologue qui guidait précisément le
conducteur de la pelle de l’entreprise Serva TP. C’était pour lui une première
expérience de ce genre de travail, bien différent de ce qu’il pratique
habituellement… Sont alors apparus les premiers vestiges, à environ un mètre de
profondeur, et notamment la présence de murs ou de leurs fondations. Une
observation plus minutieuse a ensuite permis de déceler et de repérer
soigneusement des traces (il faut être spécialiste pour les distinguer, en
observant l’aspect ou la consistance du sol, et autres indices…) : traces de poteaux
de bois (éléments d’ossature ou de palissade), trace d’un ancien fossé, etc.
Dans un second temps, en
fouillant, les archéologues peuvent retrouver ce qu’ils appellent « du mobilier
archéologique », fragments d’éléments issus de la vie quotidienne des
anciennes populations qui vivaient là : fragments d’ossements animaux (indices
sur l’alimentation et/ou l’élevage), de briques, de tuiles ou d’objets en terre
cuite (notamment de la céramique) qui ont été piégés dans les constructions ou
rejetés intentionnellement dans des fosses (ancêtres de nos poubelles). Chaque
élément découvert fait l’objet d’une description sur une fiche spécifique où
quantité de détails sont notés : nature, position, observations visuelles,
etc.
Époque romaine, sans aucun doute
Très rapidement, les
archéologues ont pu affirmer que nous étions là en présence de vestiges de
l’époque romaine du I er au II e siècles après J.-C.. Des
analyses plus poussées apporteront plus tard d’autres informations dans le
cadre de l’étude du site (phase de « post-fouille »). C’est par exemple ainsi
qu’on peut dater à 25 ans près des petits morceaux de céramique de quelques
centimètres, notamment par l’observation visuelle, ou par l’analyse de la
composition et en référence à des bases de données très précises ; pour
d’autres époques où les matériaux évoluaient plus lentement, comme par exemple pour
le Moyen Âge, on est plutôt dans une fourchette de 100 ans.
Mais plus encore…
Tous ces indices, objets et
observations ont permis d’identifier rapidement ce site comme celui d’une «
pars rustica » (partie d’une villa romaine consacrée aux activités agricoles),
par contraste avec la « pars urbana » qui était destinée à l’habitation (3).
Sur place, on a distingué très nettement les fondations d’un petit bâtiment
carré, ainsi que des aménagements annexes. Cela peut aussi laisser supposer la
présence d’une villa gallo-romaine à proximité.
Au fur et à mesure, les
archéologues ont pu déceler les traces de plusieurs phases d’occupation du
site, et probablement une de l’époque de la fin de l’âge du fer (4) :
les traces d’un bâtiment se situant à un niveau inférieur à celui découvert en
première phase.
Un puits de plus de 5 m de
profondeur a été également découvert : les caractéristiques des tuiles et des
céramiques découvertes dans le comblement du conduit ont permis de situer son
abandon à l’époque médiévale.
Des suites multiples et riches
d’enseignement
Tout le mobilier archéologique
collecté, les prélèvements réalisés ainsi que la documentation écrite,
dessinée et photographiée sur le site vont maintenant être exploités par les
archéologues et par différents spécialistes scientifiques. Citons par exemple :
• les carpologues qui étudient les graines : après tamisage,
flottaison et traitement spécifique des échantillons, on peut déterminer les
graines présentes, invisibles à l’oeil nu, mais dont l’étude scientifique donne
des indices sur les cultures et/ou l’alimentation des hommes de l’époque,
• les anthracologues qui analysent les charbons de bois permettant de
découvrir les espèces végétales utilisées par exemple pour se chauffer ou pour
la construction. Ces éléments peuvent également être datés par le carbone 14 (5),
• et bien d’autres
spécialistes dans différents domaines de la science.
Tous les résultats de ces
fouilles et de ces analyses feront l’objet d’un rapport que les archéologues
remettront dans 18 mois au Service Régional de l’Archéologie, consultable sur
demande par le public. Entre temps, des articles concernant les premiers
résultats de ces fouilles seront probablement publiés dans des revues
spécialisées, permettant de tenir informés les spécialistes de cette
discipline.
Une remontée dans le temps
Six semaines pour remonter
plus de 20 siècles en arrière… C’est à la fois bien peu, mais suffisant pour
permettre aux scientifiques d’en apprendre un peu plus concernant l’occupation
humaine sur notre territoire et de compléter la connaissance du monde, ou du
moins de notre Sologne…
Nous avons hâte de découvrir
les résultats complets de ces fouilles (mais c’est un domaine où il faut
savoir être patient…) et de les faire partager à nos lecteurs…
Merci à Bernard Gattoliat de
nous avoir permis ces rencontres, et à Mélanie Jouet et son équipe qui nous ont
fait partager tout l’intérêt que représente le domaine de l’archéologie.
P. L.
(1) Inrap - Institut national de recherches
archéologiques, placé sous la tutelle des ministères de la Culture et de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche
(2) Eveha : Études et valorisations archéologiques -
https://www.eveha.fr
(3) Source : fr-academic.com
(4) L’âge du fer correspond à la période 800 à 700
avant J.-C. en Europe de l’Ouest.
(5) La datation par le carbone 14 est une méthode de
datation radiométrique fondée sur la mesure de l’activité radiologique du
carbone 14 contenu dans la matière organique dont on souhaite connaître l’âge
absolu, c’est-à-dire le temps écoulé depuis la mort de l’organisme (animal ou
végétal) qui le constitue (Wikipédia).
La Grenouille n°56 - Juillet 2022
Voir aussi l'information diffusée par Eveha sur son site au sujet de ces fouilles: ici
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